Maria Kalesnikova est une artiste, flutiste, et une femme engagée en politique. Mais une femme, ou un homme, qui s’engage pour la démocratie en Biélorussie est en danger. Maria Kalesnikava a été arrêtée en septembre 2020 et condamnée à 11 ans de détention. En novembre 2021, nous lui avions consacré cet article alors qu’elle était détenue et sous haute surveillance. Or depuis le 14 février 2023, nous n’avons plus aucune information fiable sur elle. Elle a tout simplement disparue au fond d’une geôle biélorusse. Ni son père ni sa sœur Tatyana Khomich, porte-parole infatigable, n’ont reçu aucune nouvelle de la colonie pénitentiaire de femmes n°4 de Gomel où elle serait détenue. À ce jours nous attendons la décision du Groupe de travail des Nations Unis qui reconnaitra la disparition forcée de Maria Kolesnikova et enverra une demande officielle à la Biélorussie l’enjoignant d’informer les autorités de l’endroit où se trouve la militante et de donner à son père la possibilité de lui rendre visite; rappelant que le fait de garder au secret des prisonniers biélorusses constitue un traitement cruel et inhumain et peut être assimilé à de la torture.
“Quand ses lettres arrivaient encore, Masha partageait souvent ses pensées sur la façon dont elle faisait face aux conditions.” rapporte sa soeur Tatyana.
En Biélorussie, 655 personnes ont été condamnées à des restrictions de liberté et plus de 170 femmes sont détenues dans des centres de détention et des colonies. Après 2020, les femmes sont devenues victimes de disparitions forcées, de tortures, d’abus et d’autres formes de pression physique et psychologique, comme celle de leur prendre leurs enfants pour les confier à la protection sociale de l’État.
Cette tendance à la violence et à la coercition des régimes autoritaires de plus en plus nombreux à museler les artistes s’est accentuée ces dernières années, alors que dans le même temps les possibilités de s’informer, de partager des connaissances, des savoirs et des biens culturels se sont trouvées accrues par les réseaux sociaux et les outils numériques. Une tendance que se fait sentir aussi dans nos démocraties libérales.
Ils et elles sont partout, proches et loin, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, inconnus ou célèbres. Ils et elles jouent de la musique, chantent, montent sur scène, dansent, tournent des films, dessinent, écrivent des livres dans des conditions où chaque mot, chaque son, chaque image sont arrachés à l’ombre et à l’angoisse.
Paysages Humains est un espace, indépendant, où l’on célèbre la liberté artistique, et où l’on encourage la diversité de toutes les expressions culturelles. Je voudrais me rappeler aujourd’hui que « la liberté́ artistique est la liberté́ d’imaginer, de créer et de distribuer des expressions culturelles diverses sans censure gouvernementale, interférence politique ou pressions exercées par des acteurs non étatiques. Elle comprend le droit de chaque citoyen d’accéder à ces œuvres et est essentielle au bien-être des sociétés » suivant la Convention de l’Unesco de 2005.
Je voudrais nous rappeler que défendre cette liberté d’expression artistique ne peut pas être dissocié de la défense de la liberté des personnes elles-mêmes.
Et si Paysages Humains n’est pas une tribune politique, je voudrais profiter de notre chance de jouir de cette liberté d’expression, ici et maintenant, pour rendre visible leurs désarrois et leurs résistances. C’est pour ces raison que je vous parle de Maria Kalesnikava, musicienne biélorusse, membre de l’opposition au président Alexandre Loukachenko qui s’est formé lors des manifestations de 2020.
Maria Kalesnikava a été enlevée le 7 septembre 2020 puis forcée à s’exiler. Conduite de force à la frontière de l’Ukraine, elle y sera arrêtée après avoir déchiré son passeport. Comme beaucoup d’autres, elle a choisi de rester dans son pays.
Le 6 septembre dernier, elle a été jugée à huis clos et condamnée à 11 ans d’emprisonnement pour « complots visant à s’emparer du pouvoir » et « appels à des actions portant atteinte à la sécurité nationale »8.
Flûtiste formée à l’Académie d’État de musique de Biélorussie, Maria Kalesnikava a obtenu deux masters à Stuttgart en 2012 et depuis elle partageait sa carrière entre son pays et l’Allemagne. En 2017 elle a co-fondé Artemp, un collectif d’art et en 2019, elle est devenue la directrice artistique du club culturel OK16 à Minsk.
Pour soutenir son action et son courage, plusieurs prix lui ont été décerné; le prix de « La parole intrépide » en Allemagne (Rhénanie-Palatinat), le prix Sakharov décerné par le Parlement européen, le prix des Droits de l’Homme Vaclav Havel 2021. Vaclav Havel, grand résistant puis Président de la République Tchèque, a d’ailleurs formidablement bien décrit dans son livre Le pouvoir des sans pouvoirs, l’étendue des pouvoirs insoupçonnée de la société civile pour construire des petites sociétés alternatives, groupes de musique, association sportives, clubs littéraires face à l’autoritarisme et à la censure.
La Fondation Axel Springer pour la liberté a installé aujourd’hui une plaque de rue devant l’ambassade du Belarus à Berlin, portant le nom de l’opposante biélorusse emprisonnée, Maria Kolesnikova.
Chaque jour des initiatives de soutien à Maria naissent : des messages ou postcards sont postés sur sa page Facebook des concerts organisés sur des plateformes numériques, des œuvres sont écrites, réalisées.
J’en citerais deux parmi tant d’autres :
« Dream House” by the Mixed Sound Personnel (Viktoriia Vitrenko, voice, music & Lucas Gerin, e-drums, music) feat. Pauline Drand (lyrics, music, voice & text) & Vj Yarkus (video art) dans laquelle ses ami.es ont intégré la dernière pièce de Maria à la flûte enregistrée à Stuttgart et traité électroniquement la voix de ses derniers discours.
Et « À l’air libre », une série d’oeuvres pour flûte interprétée par Keiko Murakami et écrite par le compositeur français Frédéric Durieux, compositeur français, pour exiger la libération de Maria Kalesnikava, Le premier épisode a été jouté le22 novembre et le second le 15 novembre 2023.
Aujourd’hui je vous ai parlé de Maria Kolesnikova mais je pourrais citer tant d’autres noms d’artistes comme elle, persécutés, exilés ou emprisonnés tels que : Ayesha Khan, chanteuse afghane exilé en Espagne fuyant les Talibans, la chanteuse kurde Nüdem Durak condamnée en 2015 à 19 ans de prison, le performer cubain Luis Manuel Otero Alcnatara condamné en 2022 à 5 ans d’emprisonnement, Ashraf Fayad, poète à passé 8 ans dans les prisons d’Arabie Saoudite et a été enfin libéré le 23 août 2022 mais combien d’autres restent détenus.
Et comme les chiffres savent parfois mieux illustrer ce que les mots s’efforcent de dire, je vous encourage à visiter le site de Freemuse, organisation internationale non gouvernementale indépendante qui défend la liberté d’expression artistique et la diversité culturelle et dont le rapport 2020 est alarmant.
Sandrine Maricot Despretz